Non mais à l'eau, quoi !
Elle sort de son lit, tellement sûre d'elle, la Seine, la Seine, la Seine. En écrivant ces paroles de chanson pour une vedette surcottée du cinéma et de la variété, Mathieu Chédid n'imaginait sûrement pas que le morceau serait tellement d'actualité quelques années plus tard au mois de juin (bordel !) !!
Il y a maintenant quelques années, j'étais allé voir à la Galerie des Bibliothèques, dans le bien nommé Marais, à Paris donc, la superbe expo photo Paris innondé 1910. L'épisode de la grande crue de 1910 m'avait paru fascinant mais relevant de la sience fiction. Je connaissais l'existence d'une grande inondation à Paris par le magnifique film Camille Claudel, mais je ne savais rien des détails.
Durant la dernière semaine de janvier 1910, des conditions météorologiques exceptionnelles provoquent la plus importante inondation depuis 1658. La ville est paralysée en quelques jours seulement. La Seine déborde, l'eau surgit du sous-sol, empruntant les voies du métro et des égouts, remonte jusqu’à la gare Saint-Lazare et reprend même son cours naturel (en effet, normalement un bras de Seine devrait passer dans ces quartiers). Les transports en commun, les égouts, l’électricité, le ravitaillement et les communications sont paralysés ou désorganisés.
Pris de cours, on gère la situation comme on peut même finalement pas si mal : on construit des parapets, on monte des passerelles, on circule en barque, on rentre chez soi en échelle, on déménage… L’armée et ses canots se mobilisent très vite pour maintenir le fonctionnement des activités quotidiennes et organiser les secours.
Certes l’inondation amuse : on va "à l'inondation" comme on va au spectacle. Mais les classes populaires sont durement touchées, et même sil n'y aura en tout et pour tout qu'un seul mort, des milliers de sinistrés perdent leur travail, leur logement et leurs biens : 20 000 immeubles inondés (sur 80 000), 150 000 personnes sinistrées. La banlieue est durement touchée elle aussi : 200 000 personnes cherchent refuge dans la capitale, où les capacités d’accueil sont plus importantes.
Spontanément, la solidarité se fait jour, en France et même à l’étranger. Quêtes, dons, souscriptions, et mêmes des concerts de charité (les "Enfoirés" n'ont rien inventé). Des soupes populaires et des asiles apportent leur soutien aux victimes.
Sans cependant susciter de remise en cause des pouvoirs publics, l’inondation est évidemment récupérée par la politique...
Après le 28 janvier 1910, la décrue s’amorce. On pense donc à tout désinfecter pour lutter contre les risques d’épidémie. On répare, on remet les transports en marche petit à petit. Le bilan des dégâts se chiffre à 400 millions de franc-or (c'est énorme)...
De cette expo très réussie, je garde un très bon souvenir encore aujourd'hui. On sortait de là en sachant tout ou presque : les causes, les conséquences, les dégâts, la façon dont s'est organisée l'aide et même la façon dont on l'a tourné en dérision. Photos, affiches, lettres, peintures, documents scientifiques... En plus de cet aspect pédagogique : le dépaysement dans l'ambiance de la Belle Epoque et d'un Paris intemporel et cependant si différent.
Je ne sais pas si les conditions météo d'il y a 100 ans ont été pires que celles de ces derniers jours. Une chose nous interpelle cependant : on a mis en place des moyens très sophistiqués de prévention des crues et de traitement de l'urgence, et parallèlement on a créé de quoi faire des catastrophes de plus en plus grandes (constructions délirantes en zones innondables, bétonnage, suppression des haies et j'en passe). C'est un peu comme si on développait les médicaments au fur et à mesure qu'on développait les maladies.
Notre société ne redoute pas la pluie, apparemment, mais elle fait vraiment des choix très curieux qui confinent à l'absurde...